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De façon sporadique et désordonnée vous sont proposées ici quelques "short stories" inédites, dont l'unique ambition est, sinon de plaire au lecteur, au moins de faire plaisir à l'auteur...
Bonne lecture!

lundi 19 janvier 2009

Vous prendrez bien un ptit café?


Pssschhh
La porte s'ouvre bruyamment, une rafale de froid pénètre dans l'intérieur douillet du bistrot un peu désert.

- Bonjour !
- Bonjour, Msieur Lampich, s'exclame le patron, affairé auprès de la caisse enregistreuse. Comment ca va aujourd'hui?
Msieur Lampich se hisse sur le grand tabouret et s'accoude sur le zinc.
- Ma foi, pas pire qu'hier et vous donc?
- Ca va, merci.. qu'est-ce qu'on vous sert?
- Un p'tit blanc et un sandwich rillettes, ca s'rait aimable!

Je m'active, ouvre les placards, le frigo, découpe du pain, sors la bouteille, tartine les rillettes, referme la bouteille, remets les rillettes et le blanc au frais, ferme le frigo, le rouvre, ressorsle blanc et le range dans l'autre frigo, puis dispose la commande devant le bonhomme qui me fait face, absorbé dans la lecture de sa grille PMU.

En dépit de toute cette agitation inhabituelle que je forme sous son nez, il ne semble me remarquer qu' à ce moment là:
- Tiens, mais on dirait qu'c'est plus Thérèse !
Perspicace, le gars. Mais je fais pas la maline, parce que c'est mon premier jour et que je suis pas si à l'aise que ca alors je réponds sobrement.
- ... ben.. non.
- Zetes une nouvelle?
- Oui, je commence aujourd'hui.
- Ah.

Petit clin d'oeil complice. Il prend une gorgée de blanc, je me retourne et je fais semblant d'être occupée.
Mais visiblement, il a envie de parler.

- Et la Thérèse, alors, elle devient quoi?
- Je sais pas, Monsieur, je la connais pas.
- Ah oui, zetes nouvelle...
- C'est ca.

Alors, il cherche le patron des yeux, et crie, pour être sur d'être bien entendu.

- Bah dis donc, Patron, zavez remplacé Thérèse par une jolie jeune fille?! On s'embête pas, dites donc !

Je sais plus où me metttre. Je remplis des carafes pour donner le change, et souris bêtement.
pscchhh.
La porte s'ouvre à nouveau, un vieux monsieur rentre, me salue, et me commande un "express", d'une voix faible. Je me dis que boire du café, ça doit pas être très bon pour son cœur, mais ça, je le garde pour moi, évidemment. Et puis, il représente mon sauveur, alors plutôt mourir que de lui faire une réflexion désobligeante. Grâce à lui, je peux mettre poliment une fin à ce tête à tête gênant avec Msieur Lampich et ses dents en moins, qui me fixe d'un regard vicieux tout en mordant dans son sandwich rillettes.
Je lance l'expresso, ca fait un bruit d'enfer, une distance de plus qui se met entre lui et moi. Ouf.
Le vieux ridé, par contre, me parait d'emblée sympathique. Il a un visage de tortue. Et puis il a pas envie de parler. Et puis ça s'explique pas, lui, je l'aime bien, et c'est tout. Il sirote son café tout doucement, les yeux dans le vague. Si y avait une horloge, elle s'égrènerait bruyamment et ça ne le dérangerait pas, c'est sur. Je me demande à quoi il pense.
Dans le fond, la patronne rit bruyamment aux blagues de Mr Partena, en caressant son lévrier.
Discrètement, je me détourne du comptoir et commence à griffonner sur mon mot fléché, en donnant l'air de faire des calculs savants. Car le patron m'a prévenue avant que je prenne le service:
-Attention, ca fait pas sérieux, de lire derrière ton comptoir, alors évite ou ne montre pas ce que tu fais.
-OK, chef. ( je l'appelle pas chef, en vrai)

Puis, soudain, tout s'accélère. Pschsch pschch la porte s'ouvre, se referme, se rouvre. Un groupe d'ouvrier envahit la salle.
- 6 expressos, me crie Rémi, le serveur, qui semble un peu débordé tout à coup.
- 1 demi !
- Hé, remplis moi une carafe!
- 1 noisette !
- 2 panachés et 2 expressos !
Oui oui, pas de problème. Attends un peu. Ca arrive. J'ai un demi, là. Quoi d'autre? Les mots viennent naturellement et les gestes suivent peu à peu. L'édenté a laissé un petit pourboire à côté de son verre vide. Toujours ça de pris. Sa place est maintenant occupée par un couple d'anglais qui s'amusent à prononcer "Un expresso s'il vous plait" sans trace d'accent. C'est pas gagné, mais pour les encourager, je leur mens, non sans malice: "C'est très bien! après quelques jours d'entrainement, on vous comprendra parfaitement!"

Deux heures plus tard, j'ai l'impression que j'ai toujours fait ca. Enfin presque.
Le patron s'approche et me glisse:
- C'est bon, t'as fini, tu peux te mettre dans un coin et commander ce que tu veux, c'est à notre tour de te servir.
Chouette. Merci patron (je l'appelle pas patron, en vrai).
Je m'installe, commande une grande salade, avec aplomb. Je finis tranquillement mes mots fléchés. Rémi, qui est encore dans la tourmente du service, me lance des regards de jalousie, je le vois bien.
Alors, pour faire bien, je vais déposer de moi-même les restes de mon repas en cuisine, et je débarrasse consciencieusement ma table. Je récupère ma veste et mon sac, j'ouvre la porte.
pscchhch
je me retourne et lance " A demain!".
Puis je referme la porte.
Je me sens déja un peu de la maison. Et je languis demain.

Et je me demande: à quoi ça sert des études d'agronomie??


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