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De façon sporadique et désordonnée vous sont proposées ici quelques "short stories" inédites, dont l'unique ambition est, sinon de plaire au lecteur, au moins de faire plaisir à l'auteur...
Bonne lecture!

lundi 26 janvier 2009

Piliers de comptoir



Etre derrière le comptoir, c'est un peu comme être derrière un miroir sans tain. Les gens qui s'y accoudent -des hommes pour la plupart- viennent y chercher une compagnie solitaire. Ils s'assoient sur les grands tabourets, commandent un café, ou un demi, et laissent divaguer leurs pensées. Ils ne tiennent pas vraiment à communiquer; ils se satisfont de ma présence devant eux. Devant eux, mais loin, loin, derrière le comptoir. C'est ainsi qu'ils me font face: les yeux troubles, vides, le visage las de ceux qui ne se savent pas regardés. Qu'attendent ils? que le café refroidisse? que la mousse retombe? ou que le temps passe, tout simplement?
Lorsque nos regards se croisent, et que je leur décoche un sourire, ils peinent à m'en esquisser un. Même lorsqu'ils le font, c'est à peine plus qu'un étirement des lèvres ponctué d'un léger hochement de tête gêné. Ils passent leur commande dans un souffle, d'une voix rocailleuse et inarticulée. Alors, je les bouscule un peu, les force à répéter, pour être "bien sure d'avoir compris, vous comprenez?". Etonnés parfois, mal à l'aise à tous les coups, ils haussent discrètement les sourcils, toussotent pour s'éclaircir la voix et réitèrent leur demande. Toujours aussi mal articulée. A peine plus fort. J'acquiesce cependant, consciente de l'effort accompli. Ils détournent rapidement le regard, et je sens soudain se reconstituer le miroir sans tain entre eux et moi. Rien à faire, ils sont repartis.
J'essuie les verres, je verse un kir, je remplis une carafe. Et je les observe à la dérobée. Ce sont mes "piliers". Au fil des jours, j'apprends à les connaître. Ou peut être serait il plus juste de dire que j'apprends à les imaginer. Je leur invente un monde à eux, je leur colle un prénom et une vie. Puisque eux ne me parlent pas.
Avec leurs dents jaunies par le tabac, leur chemise qui sent les années 60 et leur teint grisâtre, aux pores huileux, ils me font penser aux personnages de Zola. Immanquablement, je les imagine mineurs, creusant les souterrains de Jussieu à la recherche d'une pépite de charbon. Moi, je deviens Gervaise, au temps de la belle époque:
"-Tiens, Mr Goujet, vous v'nez pour vot ' linge?
-Bonjour, Mme Coupeau, c'est-y pas que de c'temps là, on a vite fait de s'salir les godillots!"

Nous sommes pourtant bien en 2009, c'est écrit sur le calendrier PMU étalé derrière moi, qui proclame:
"En 2009, notre pari: vous faire gagner !"
Rien de moins sur...


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