Bienvenue

De façon sporadique et désordonnée vous sont proposées ici quelques "short stories" inédites, dont l'unique ambition est, sinon de plaire au lecteur, au moins de faire plaisir à l'auteur...
Bonne lecture!

lundi 23 mars 2009

La damoiselle et l'hirondelle


A quoi reconnaît-on le printemps?
Je vous entends déja appuyer sur le buzzer: -au chant des oiseaux! -à la luminosité? -à la diversité des couleurs dont se parent soudainement les champs et les fossés...
C'est juste. Enfin, tout du moins, ce n'est pas tout à fait faux. Mais pour un habitant de la ville, c'est plutôt inexact.
Parce que les seuls oiseaux qui y chantent sont les pigeons, ces maudites bestioles dégénérées qui roucoulent à tout moment, faisant ostensiblement fi des lois ancestrales primaires qui devraient leur dicter une toute autre conduite...
Parce que les seules fleurs visibles sont celles cultivées dans des parterres étriqués ou cloitrées dans des jardinières plastifiées, qui ont précisément pour ordre de rester fleuris en toute saison, quels que soient la température et l'humidité extérieures, la pollution de l'air ou les piétinements acharnés des passants. Ces reliquats de natures sont soumis bien malgré eux au funeste précepte "que trépasse si tu faiblis" et se voient donc par conséquent obligés de fleurir et de porter la tige haute en toute circonstance.
Parce que, enfin, sous le feu des lampadaires et des projecteurs urbains, on oublie jusqu'à la notion de jour et de nuit, et que l'intensité de la luminosité n'est plus éprouvée qu'au travers d'un interrupteur-variateur de l'halogène du salon obscur.

Donc, je vous repose la question: à quoi reconnaît-on le printemps en ville?
ah ah? ahhahhah? ahhahahahahahah?
Et bien je vais vous le dire, puisque vous séchez lamentablement:
Aux fines paluches gantées qui côtoient les jeunes mollets découverts.
Aux shorts hawaïens qui narguent les bonnets de laine.
Aux sandales souples qui provoquent les robustes bottes en cuir.

Formidable saison du renouveau, le printemps porte tant d'espoirs et de promesses que nous fonçons tête baissée à sa rencontre.
Dès les premiers rayons du soleil, à partir de cette fatidique date du 20 mars, une véritable frénésie s'empare de nous: au diable les pièces de laine! au placard les gros pantalons! Ou donc ai-je bien pu ranger mes lunettes de soleil? Et ce petit top flashy que j'ai acheté au début de l'automne? Vite vite, une jupe, un tee-shirt, des tongs et courons se faire dorer dans un parc !!! Je me précipite à toute vitesse dans les escaliers, ouvre la porte à toute volée et... tombe en arrêt devant le pas de mon immeuble, heurtée de plein fouet par un délicieux petit rayon de soleil que je bénis à l'instant même où la lourde porte métallique claque derrière moi, refoulant ainsi le petit courant d'air frais qui se dégageait de l'intérieur du hall. Campée solidement sur le sol, je ferme les yeux, et j'inspire bruyamment, adoptant la position théâtrale de celle-qui-sait-profiter-de-la-vie, méprisant par ces simples gestes tous les frileux du changement et les angoissés du coup de froid. Après quelques secondes de comédie, je rouvre les yeux, plaque un sourire triomphant sur mon visage pâle et reprend mon cheminement vers la terre promise, à pas nonchalants.

Bizarrement,alors que je n'ai parcouru qu'une petite centaine de mètres, je réalise que mon entrain diminue. Je me surprends à éviter les coins d'ombre, à rallier le trottoir d'en face, celui qui est ensoleillé. Je tire sur mes manches- je m'rappelais pas qu'il était si court que ça l'an dernier, ce satané tee shirt!?
Et c'est quand je croise ces fameuses mains gantées que le doute commence sournoisement à s'insinuer dans son esprit. Mais je refuse encore d'accepter la réalité. J'échange de petits regards complices avec ceux qui ont -eux aussi- opté pour les mollets nus. Je marche un peu plus vite -oh, à peine plus!-, et je commence à remettre en question ma destination initiale. Le parc doit encore être un peu boueux, à cette saison, non? Et puis ça va être difficile de trouver un coin au soleil... Tiens, et ça va être horriblement bruyamment: tous les gamins vont être de sortie, avec ce premier soleil. Les nouveaux-nés de l'hiver vont découvrir l'herbe et hurler de peur au contact de ce nouveau matériau. Les néo-bipèdes vont expérimenter leur habilité et provoquer l'hystérie des parents qui tenteront en vain de contrôler leurs changements de cap incontrôlés. Va même y avoir des chiens, des horribles teckels qui vont japper toute l'après-midi. eurkk.
Alors, l'air de rien, supportant hardiment le regard narquois des caniches emmitouflés et de leurs propriétaires moqueurs, je ralentis et pousse la porte d'un café. Une place en terrasse s'il vous plait!... (Pas question de donner raison aux donneurs de leçons.)
....Oui, oui, en terrasse vitrée, vous avez vu le vent qu'il y a?..
... ah, elle est chauffée?....
... ben tant pis, alors, si on peut pas faire autrement...
...et je vais prendre un café, s'il vous plaît! ....
...non, attendez, un chocolat. Bien chaud. Avec BEAUCOUP de crème....
....et un plaid, vous avez un plaid? non? arggg.
Ça y est, je le reconnais, je le confesse, je l'avoue, mea culpa grande, j'ai froid, j'ai froid, je me caille, je suis gelée, congelée, glagla, glaçon,...garçon! j'échange ma jupe contre votre pantalon, mes tongs contre vos godasses fermées, et.... mon royaume contre une écharpe!!!
-Quel royaume??

Hum...
Comme quoi les gentes damoiselles à la cervelle de moinelle ne devraient pas croire les hirondelles.
Car elles n'ont jamais fait le printemps.